Anticiper les crises alimentaires : des pratiques pour un avenir durable
Les crises alimentaires sont des problèmes majeurs qui menacent la sécurité alimentaire de nombreuses populations à travers le monde. Pour éviter ces situations critiques, il est crucial de mettre en place des mesures préventives et de promouvoir des pratiques durables. Dans cet article, nous vous présenterons quelques exemples de bonnes pratiques faciles à mettre en œuvre pour collectivement anticiper les crises alimentaires dans le futur.
ANTICIPER UNE CRISE ALIMENTAIRE
Les crises alimentaires sont des problèmes majeurs qui menacent la sécurité alimentaire de nombreuses populations à travers le monde. Pour éviter ces situations critiques, il est crucial de mettre en place des mesures préventives et de promouvoir des pratiques durables. Dans cet article, nous vous présenterons quelques exemples de bonnes pratiques faciles à mettre en œuvre pour collectivement anticiper les crises alimentaires dans le futur.
Les personnes marginalisées, en situation de vulnérabilité ou de précarité seront les premières à subir les effets préjudiciables des changements climatiques. Leur accès à l’alimentation, la nutrition, l’eau potable, l’assainissement, aux services de santé, au logement et au travail décent vont être fortement compromis. On peut prévoir que les évolutions climatiques vont impacter encore davantage leurs revenus (hausse des prix de l’alimentation, de l’eau ou encore de l’énergie). Il est possible d'anticiper cette problématique par des mesures systémiques et des actions individuelles
Quel impact du changement climatique sur la production alimentaire et les producteurs ?
Les changements climatiques vont largement impactés la santé des plus vulnérables avec l’intensification de problèmes de santé publique tels que la malnutrition et l’accès à une eau saine. Les évolutions climatiques à venir vont impacter nos capacités de production alimentaire. L’augmentation et la récurrence de phénomènes météorologiques extrêmes vont entraîner par exemple la diminution de la productivité des cultures, de l’élevage, des pêches et de l’aquaculture et réduire la qualité nutritive des aliments et la disponibilité en eau potable.
Outre les sécheresses à répétition qui impacteront les rendements, le niveau des nappes phréatiques et nos capacités d’irrigation, nous devons anticiper les conséquences de la croissance démographique et de l’urbanisation sur nos capacités à produire la quantité de nourriture nécessaire pour subvenir aux besoins de chacun.
Le réchauffement climatique dégrade les sols : l'augmentation de l'intensité des pluies accroît non seulement le ruissellement de l'eau mais également par conséquent l'érosion des sols impactant ainsi leur capacité à continuer de nourrir l'humanité.
Il est reconnu que les modèles agricoles productivistes des siècles derniers ont par ailleurs particulièrement contribué aux évolutions climatiques actuelles (gaz à effet de serre émis par le fumier, usage d’engrais synthétiques, brûlage des résidus de culture, développement de la riziculture…) et à l’épuisement des ressources (épuisement des sols et ralentissement du renouvellement des espèces halieutiques notamment). C’était une réponse immédiate aux besoins d’après-guerre de produire en quantité une nourriture diversifiée quoique normalisée. Une prise de conscience montre que ce modèle n’est plus adapté mais la question de produire en quantité une nourriture diversifiée et de qualité demeure et demeurera.
Les producteurs sont déjà victimes (outre les maladies professionnelles) des conséquences des chaleurs extrêmes, des inondations, de la submersion de terres par l’élévation du niveau des mers, de la prolifération d’espèces invasives et destructives pour les cultures ou encore de la raréfaction des ressources mettant à mal leur modèle économique. Ils détiennent aussi l’une des clefs de l’adaptation des sociétés par leur participation à l’adaptation des systèmes productifs.
Diversifier les cultures
L'une des premières étapes pour anticiper les crises alimentaires est de diversifier les cultures. En cultivant une grande variété de plantes, nous pouvons réduire les risques de pertes massives de récoltes dues à des maladies ou à des conditions météorologiques défavorables. Par exemple, au lieu de se concentrer uniquement sur une culture de céréales, les agriculteurs peuvent également cultiver des légumes, des fruits et des légumineuses. Cette diversification permet de garantir une alimentation équilibrée et de réduire la dépendance à une seule culture.
Anticiper une crise alimentaire passe effectivement par repenser nos systèmes agricoles et nos modes de consommation. L’association Acclimaterre 360 s’oppose à l'agri bashing et considère qu’une agriculture repensée, en associant les divers acteurs concernés, peut-être un des moteurs du bien-être humain en contribuant non seulement à nourrir la population mais à lutter contre les risques climatiques, contre les déprises environnementales et contre la pollution des sols, de l’air et des eaux.
Cette adaptation est impérative, il faudra nourrir plus de monde sur des superficies habitables plus restreintes. Comment produire une nourriture diversifiée en quantité abondante sans porter atteinte à l’environnement et sans alimenter le processus global de réchauffement tout en garantissant un revenu décent et durable aux producteurs ?
Une approche holistique consiste ainsi à appréhender l’ensemble du système de la production à la consommation en passant par la transformation, la distribution et la vente. Comment mettre à contribution les différents acteurs (y compris les investisseurs) dont certains peuvent craindre les conséquences et les difficultés engendrées par une transformation des systèmes productifs ? Nous considérons que l’absence d’adaptation de ces systèmes entraînera à moyen terme l’effondrement global du système.
Il faut commencer par remettre de la diversité à l’échelon local afin de gagner en résilience tout en étant bénéfique pour la biodiversité et la préservation de l’environnement. C’est également garantir une nutrition saine et équilibrée aux consommateurs dans le temps long sans crainte des aléas. Les régions françaises sont toutes spécialisées dans certains types de production. En cas de catastrophe climatique, une région entière peut-être sinistrée. Une diversification locale permettrait d’y remédier tout en facilitant l’émergence d’un système solidaire d’entraide entre les producteurs, afin de faciliter l’indemnisation des sinistrés, et en garantissant de fournir des stocks suffisants pour répondre au besoin des consommateurs à des prix raisonnables et accessibles. Un système politique capitaliste vertueux pourrait aller jusqu’à coordonner la collecte, le stockage et la distribution des surplus de produits indispensables pour alimenter les fonds d’indemnisation ou alimenter les stocks lorsque ceux-ci sont dans l’incapacité de répondre aux besoins des consommateurs. Ce serait aussi un outil de justice sociale pour lutter contre la malnutrition, la précarité alimentaire et les disparités financières.
Un débat interacteur sur les orientations des soutiens financiers est nécessaire. Pour certains, trop de subventions sont allouées aux industries laitières et carnées, jugées responsables de près de 15% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ces industries sont cependant nécessaires, elles répondent aux attentes d’une partie des consommateurs. Une réflexion collective doit permettre toutefois de proposer des pistes réorganisationnelles de ces industries sans tomber dans l’agri bashing. La monoculture n’est toutefois plus le modèle adapté. Pour l’association, une priorité demeure sur le financement de la recherche pour proposer notamment des alternatives aux pesticides et aux engrais toxiques. Nous plaidons pour une réduction significative et sans délai de l’usage de médicaments antimicrobiens et antibiotiques dans la production alimentaire.
Encourager l'agriculture locale
L'agriculture biologique favorise la préservation de la biodiversité et limite l'utilisation de pesticides et d'engrais chimiques. En encourageant cette pratique, nous pouvons réduire la pollution des sols et de l'eau, préserver les écosystèmes et garantir des aliments plus sains et plus nutritifs. Il est important de sensibiliser les citoyens aux avantages de l'agriculture biologique et de soutenir les producteurs dans leur transition vers ce mode de production plus respectueux de l'environnement.
Les municipalités/communes/intercommunalités peuvent transformer prioritairement les friches en zone de production de fruits et légumes en mesure de contribuer tout ou partie à répondre aux besoins des cantines scolaires. Cela permettrait de recruter des maraîchers municipaux à des salaires fixes tout en réduisant le coût restant à la charge des familles. Une telle mesure pose la question de l’expropriation des propriétaires de friches en milieu urbain et rural pour une réappropriation dans l’intérêt commun (ou de la préemption en cas de vente). Une révision du cadre juridique doit donc être envisagée pour réduire les délais de traitement des dossiers tout comme un fond national d’indemnisation des expropriés ce qui impose de définir la valeur d’un terrain abandonné, par rapport à un terrain constructible et un terrain non constructible.
Une mesure complémentaire pourrait être l’installation obligatoire de potagers dans tous les établissements scolaires (couplée à la récupération systématique des eaux de pluie et à l’installation de compost). Cette mesure participerait à l’éducation alimentaire, au maraîchage de proximité et à la lutte contre le gaspillage dès le plus jeune âge. Il est également possible d’introduire et de généralisation de nouvelles espèces moins consommatrices d’eau, tel que le sorgho.
Pourquoi ne pas inciter les particuliers à autoproduire quelques productions chez eux y compris sur les balcons. Une baisse de la TVA sur les produits permettant la constitution de jardinières individuelles est une piste à envisager (autre bénéfice : gains sur le pouvoir d’achat). La demande ne cessant d’augmenter, une telle mesure n’aurait pas d’impact sur les bénéfices des producteurs professionnels, d’autant que les gains réalisés par les consommateurs pourraient être réinvestis dans des productions nationales de qualité plus chères que les productions étrangères.
Plus largement, il faut poursuivre la lutte contre le gaspillage alimentaire et celui des ressources aquatiques. Encourager la diversité alimentaire et mieux faire connaître certaines espèces peu consommées, est une piste à explorer pour garantir un revenu décent aux acteurs de la filière pêche. L’association Acclimaterre 360 suggère par ailleurs que la distribution des ressources halieutiques des lieux de pêche vers les lieux de consommation les plus éloignés des côtes privilégie le transport fluvial, l’usage du transport routier devant être limité aux derniers kilomètres.
L'eau : une ressource précieuse
L'eau est une ressource précieuse et sa gestion efficace est essentielle pour anticiper les crises alimentaires. Investir dans des systèmes d'irrigation efficaces permet de maximiser l'utilisation de l'eau et de minimiser les pertes. Par exemple, l'utilisation de goutte-à-goutte et d'autres techniques d'irrigation précise permet de fournir la quantité d'eau nécessaire aux plantes sans gaspillage. De plus, la collecte et le stockage des eaux de pluie peuvent également contribuer à une utilisation plus durable de cette ressource vitale.
D’après un rapport sénatorial de 2022, les ressources en eau pourraient diminuer de moitié d’ici à 2050. Cela s’explique en partie par l’insuffisance des précipitations qui implique de mettre en place des mesures permettant de généraliser la récupération des eaux de pluies et de lutter contre l’évaporation des eaux notamment du fait de l’irrigation des cultures. La récurrence de l’assèchement de la couche superficielle des sols et la baisse du niveau des nappes souterraines et du niveau des cours d’eau imposent des mesures d’urgence visant à réduire les prélèvements.
En matière d’irrigation, l’association Acclimaterre 360 propose l’usage systématique et obligatoire des eaux usées retraitées pour irriguer les cultures comme le recommande depuis déjà une décennie le premier plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) 2011-2015. Cette eau pourrait être distribuée gratuitement aux agriculteurs. Le coût porté par les pouvoirs publics nous paraît moindre que celui de l’impact du puisage massif dans les nappes phréatiques. Un changement de paradigme est impératif en matière de réutilisation des eaux usées. Vu encore trop sous l’angle des problématiques sanitaires, le retraitement des eaux usées est une solution rapidement généralisable. Ce n’est donc pas une solution pour demain : trop d’eaux usées se déversent encore dans les rivières, les lacs et les mers et contribuent à dégrader les écosystèmes qui nous nourrissent et renforçent ainsi l’insécurité alimentaire. Réemployer les eaux usées pourraient:
servir à l’irrigation des cultures (eaux riches en nutriments).
fournir une énergie alternative (biogaz, chaleur, électricité)
contribuer à réduire la demande d’engrais synthétiques (réutilisation de l’azote, du phosphore et du potassium naturellement présents).
Les pratiques actuelles d’irrigation sont dépassées : elles contribuent massivement aux émissions de CO2 dans l’atmosphère (méthane, oxyde nitreux) alors qu’un changement de pratique entraînerait le développement d’une filière pourvoyeuse d’emplois. Le plan eau prévoit 10 % de recyclage des eaux usées en 2030 contre 1% aujourd’hui. Cela paraît peu ambitieux, un véritable portage politique via une priorisation nationale pourrait porter l’ambition à 50% en 2030, 75% en 2040 et 100% en 2050.
L’Etat doit massivement investir dans la rénovation des réseaux de distribution, multiplier les usines de dessalement d’eau de mer, réguler l’envolée des besoins en irrigation, aborder la problématique du stockage non pas par la construction de nouvelles retenues mais par le remplissage artificiel des nappes souterraines pendant l’automne et l’hiver (cela se pratique déjà en Australie et en Espagne). Rendre obligatoire l’installation de réducteurs de débit d’eau chez les particuliers, revoir les normes freinant l’installation de système de récupération des eaux pluviales sur les bâtiments publics (établissements scolaires, salle des fêtes, bâtiments administratifs) permettant d’alimenter les sanitaires sont autant de mesures participant tant à limiter les prélèvements dans les ressources que l’augmentation des factures des usagers. C’est donc aussi une question de justice sociale via une surfacturation des consommateurs excessifs pour subventionner des aides/réductions à l’attention des petits consommateurs.
La solution repose en revanche très peu probablement sur la réduction de la production des eaux usées dans un contexte de croissance démographique. La gestion des eaux usées, c’est l’or marron de demain à condition d’investir dans la recherche et dans les processus de dépollution et de décontamination tant des eaux domestiques, que des déchets industriels et agricoles ou encore des eaux pluviales issues du ruissellement urbain. Il y a là également un potentiel d’eau propre complémentaire dont nous allons avoir impérativement besoin. L’eau fait partie du patrimoine commun et sa raréfaction va nécessiter la mise en place de mécanismes de solidarité.
Des exemples de bonnes pratiques ?
Il existe de très nombreuses initiatives en France portées tant par des associations que par des tiers-lieux ou des entreprises sociales et solidaires. L'exemple le plus régulier est la mise en commun de potagers où les usagers peuvent cueillir des fruits, des légumes voir parfois repartir avec du miel. La création de verger sur des friches permet la reconstitution de zones fraiches.
Des fermes de maraîchages, souvent en permaculture, émergent partout sur le territoire à l'initiative d'élus locaux notamment dans les communes rurales. Ces initiatives attirent des habitants, créent de l'emploi et génèrent des dynamiques locales vers l'autonomie alimentaire notamment des établissements publics.
Il n'est pas rare que ces initiatives s'accompagnent de chantiers participatifs (sensibilisation), d'insertion et de réinsertion (anciens détenus).
On put également citer les associations qui récupèrent les fruits et légumes "moches", font le tour des criées pour récupérer les invendus et fournir en produits frais des ateliers d'insertion.
En conclusion, anticiper les crises alimentaires dans le futur nécessite une approche collective et la mise en place de pratiques durables. La diversification des cultures, l'encouragement de l'agriculture biologique, l'investissement dans l'irrigation efficace et la promotion de l'éducation alimentaire sont autant de mesures essentielles pour garantir une sécurité alimentaire à long terme.
Pour en savoir plus
GIEC, Climate Change 2022 : Impacts, Adaptation and Vulnerability, Cambridge, Cambridge University Press, 2022.